Josep Maria Benet i Jornet à Rome 2014 © Josep Maria Miró
Josep Maria Benet i Jornet (Barcelona, 1940 – 2020), atteint de la maladie d’Alzheimer depuis 2015, vient de s’éteindre ce 6 avril, victime du coronavirus.
« Je voulais être écrivain comme on veut être astronaute en sachant que cela n’arrivera pas » (1). C’est peut-être sa seule erreur et tant mieux pour la littérature catalane et les nouvelles générations d’auteurs-trices qui ont emboité le pas, grâce à lui.
Grande figure du théâtre
Hélas, trop peu monté en France, « Papitu » son surnom pour ses proches, est une grande figure de l’écriture théâtrale contemporaine. En effet, son écriture, ses textes ont fortement contribué à la reconquête du théâtre en catalan, après les 40 années sombres de franquisme où, rappellons-le, la langue catalane était prohibée. C’est un véritable passeur entre la génération d’avant la guerre civile, (Angel Guimerà, Santiago Rusiñol, Josep Maria de Sagarra…), et les générations suivantes. Par conséquence, il est considéré comme le père de la première génération : Sergi Belbel (comme son fils spirituel), Lluisa Cunillé, Jordi Galceran, Carles Batlle… et bien sur, grand-père de la suivante : Josep Maria Miró, Pau Miró, Cristina Clemente, Père Riera, Marta Buchara, Jordi Casanovas, David Plana… Surtout, il a été le moteur du dépoussiérage et du renouveau du théâtre catalan ainsi que professeur à l’Institut del Teatre de Barcelone (2)
Une vocation
Il est né d’une famille modeste, du quartier de San Antoni (Barcelone). Immergé dans sa ville, de nombreuses pièces y trouveront plus tard, leurs décors, les ambiances de quartier dont seront inspirés certains personnages.
De même, qu’il a toujours voulu être écrivain, mais son manque de confiance et le contexte personnel ont mis à distance ce rêve. Il s’inscrit à l’Université de Barcelone en philosophie et lettres non pas pour faire une carrière d’enseignant mais plutôt trouver une façon d’apprendre à écrire. En parallèle, il suit les cours clandestins de Joaquim Molas.
En 1962, il s’inscrit comme étudiant libre à l’«Escola d’Art Dramàtic Adrià Gual » (EADAG), où il fera, entre autres, la connaissance de Ricard Salvat, Maria Aurèlia Capmany, Carme Serrallonga, Josep Montanyès, Fabià Puigserver i Francesc Nel·lo… Enfin, à leurs contacts, il va prendre de l’assurance, si bien que, un an plus tard, Adrià Gual, le présente au Prix Josep Maria de Sagarra (3). Il en est le lauréat avec sa première pièce « Una vella, coneguda olor ». Ainsi, se confirme sa vocation d’auteur qu’il n’espérait plus. Même, si son désir d’écriture, est lié au théâtre, sans être certain que ses pièces puissent un jour, être jouées ou éditées (surtout que nous sommes dans les années 60 avec l’interdiction du catalan).
Pour Benet i Jornet, travailleur acharné et perfectionniste, écrire pour le théâtre (ou la télévision) est une passion vitale et doit refléter le monde, parler de tout, sans tabou : La différence de classe, le rapport au pouvoir, la maladie, le handicap, l’inceste, l’alcoolisme, les violences conjugales, la mort, le temps qui passe, l’homosexualité.
Son écriture moderne dessine au scalpel les contours de personnages d’une telle force qu’ils ne peuvent qu’exploser sur une scène de théâtre. Aussi, son théâtre peut être tour à tour, réaliste, introspectif ou existentiel.
Un parcours exceptionnel
Il a écrit près de cinquante pièces de théâtre, des textes pour la jeunesse, des romans. Il a reçu de nombreuses distinctions dont : le Prix National de Littérature Catalane du théâtre (1991) pour sa pièce Desig, c’était la première fois que ce Prix était décerné à un auteur de théâtre. Prix du Ministère de la Culture de la littérature dramatique (1995) ; E.R. Prix de la Ville de Palma en 1967 pour : Cançons perdudes : Drudània. Fantasia per a un auxiliar administratiu ; Prix de la Ville de Sabadell (1971) : Berenàveu a les fosques. Prix de la Critique Serra d’Or de teatre : Marc i Jofre o Els alquimistes de la fortuna (1971) ; El manuscrit d’Alí Bei (1986) ; Desig. (1990) ; E.R. (1994). Max (équivalent des Molière) du Meilleur texte théâtral écrit en catalan : L’habitació del nen (2003) : et Max d’Honneur (2010). Prix de la Croix de San Jordi (Generalitat de Catalogne) (1997). Prix d’Honneur des Lettres Catalanes (2013).
Si son apport au théâtre est important, celui à la télévision, en est à la mesure ; Il écrit la première série de la chaine catalane (TV3), Poble Nou (1993-94 -192 épisodes) qui est un véritable succès au point d’en écrire le préquel Rosa (1995-96). Puis « Nissaga de Poder » (1996-98 – 476 épisodes) ; Laberint d’ombres (1998-2000) ; i Nissaga, l’herència (1999); El Cor de la ciutat, 2000-2009- 1900 épisodes) et Ventdelplà, (2005-2010). Finalement, plus de 4 500 épisodes.
Au cinéma, le réalisateur Ventura Pons (Els Films de la Rambla) adapte deux de ses pièces : E.R, devenant « Actrices » (Actrius) (1996) et Testament, Ami/amant (Amic/amat) en 2008. Ces deux films ont été présentés dans le monde entier et tous deux ont été distribués en France.
Son héritage culturel, est déjà réparti, pour preuve cette soirée au Théâtre National de Catalogne, pour ses 75 ans et la remise de la Médaille d’honneur de la Société Générale des Auteurs et Editeurs (SGAE), où le théâtre était rempli de plus de 100 auteurs-trices, autant d’acteurs-trices, un véritable moment de fête.
« Il ne voulait pas de tristes funérailles mais une grande fête qui célèbrerait sa vie. Nous la ferons quand nous pourrons à nouveau nous embrasser » déclare sa fille Carlotta (4) au journal La Vanguardia.
C’est sûr, que ce jour-là, il y aura du monde.
François Vila
(1) Livre autobiographie de Benet i Jornet : « Material d’enderroc » 2010 edicions 62,
(2)L’Institut del Teatre de Barcelona a organisé une exposition sur sa carrière et des extraits de pièces et interviews peuvent être visionnés sur le site : http://aaaec.institutdelteatre.cat/ recherche : Benet i Jornet
(3) Josep Maria de Sagarra (1894-1961) a été l’auteur catalan de référence avant la guerre civile. Il a écrit : Vida privada (« Vie privée », édité en France chez Christian Bourgeois.
(4) Autrice, du livre de ses dernières mémoires : Papitu, el somriure sota el bigoti (édition Columna, 2010)
Liste de ses pièces de théâtre et éditeurs à Barcelone – Traduction en français (*).
Una vella, coneguda olor. Editeurs : Occitània, 1964; Millà, 1980.
Cançons perdudes: Drudània. Millà, 1994.
Marc i Jofre o els alquimistes de la fortuna. Edicions 62, 1970.
Berenàveu a les fosques. Edicions 62, 1972.
La desaparició de Wendy et autres textes. Edicions 62, 1974.
Revolta de bruixes. Robrenyo, 1976.
La nau. Edicions 62, 1977.
Descripció d’un paisatge (*) i et autres textes. Edicions 62, 1979.
Quan la ràdio parlava de Franco [en collaboration avec Terenci Moix]. Edicions 62.
Baralla entre olors. Millà, 1981.
Elisabet i Maria. Edicions 62, 1982.
Dins la catedral (Josafat). Edicions 62, 1985.
El manuscrit d’Alí Bei. Edicions 62, 1985.
Ai, carai! (1989). Edicions 62.
Desig, (1989). Edicions 62, 1995. (*)
Dos camerinos: apunts sobre la bellesa. Revue : Pausa núm. 3, març 1990.
Fantasia per a un auxiliar administratiu: obra en dues parts. Millà, 1990.
A la clínica: apunts sobre la bellesa del temps – revue La Magrana, 1993.
- E.R. Edicions 62, 1994. (*)
Fugaç. Lumen, 1994. (*)
Alopècia. Curial, 1994.
Testament. Edicions 62, 1996. (*)
El gos del tinent. Edicions 62, 1997. (*)
Precisament avui (*) / Confessió. Edicions 62, 1998.
Olors. Proa, 2000.
Això, a un fill, no se li fa. Edicions 62, 2002.
L’habitació del nen: les tretze de la nit. Edicions 62, 2003. (*)
Salamandra. Proa, 2005. (*)
Soterrani (*) suivi de Tovalloles de platja (*) Edicions 62, 2008.
Com dir-ho? Arola, 2013. (*)
Textes traduits en français et éditeurs :
Hélène dans l’Ile du Baron Zodiac [Helena a l’illa del Baró Zodiac]. « Théâtre enfance et jeunesse », 1976.
Désir et Fugaces [Desig / Fugaç]. Paris: Éditions Théatrales, 1994. (Traductrice de « Désir » : Rosine Gars; traducteur de « Fugaces » : Michel Azama).
Testament. Editions de l’Armandier, 1998.
Actrices (E.R.]. Les Éditions de l’Amandier/Theâtre, 1999. (Trad. Rosine Gars).
Le chien du Lieutenant [El gos del tinent], Recueil collectif avec Le lecteur à gages (de Jose Sanchis Sinisterra) et Malaise (de Rodolf Sirera). Les Editions du Laquet, 2002.
Description d’un paysage [La descripció d’un paisatge]. Editions de l’Amandier, 2003. (Traduction : Ángeles Muñoz) Inclus : Le bois de hêtres [Fageda] (Traduction : André Delmas).
La chambre de l’enfant [L’habitació del fill]. Les Éditions de l’Amandier, 2004. (Traduction : Josep M. Vidal i Turon).
Précisément aujourd’hui / Serviettes de plage [Precisament avui / Tovalloles de platja. Éditions de l’Amandier, 2006. (Traduction : André Delmas).
Salamandre [Salamandra]. Éditions de l’Amandier, 2007. (Traduction : Hervé Petit, Neus Vila).
Sous-sol [Soterrani]. Éditions de l’Amandier, 2009. (Traduction : Denise Boyer).