Je revins ainsi, en deuxième semaine, écouter les leçons de l’âne sur le pré, en compagnie de Clavecin qui cette fois portait le costume de Spider-Man comme s’il voulait impressionner Wolfgang von Picotin. Et son grand-père, ce cher Piano, était avec nous, un peu tremblant, comme moi.
« Mes amis, brayait doucement l’âne dont l’aigle de Xi tout excité traduisait toujours les sons monotones, comparant ce que j’avais éprouvé dans les galaxies lointaines avec les comportements de notre système solaire, je constatais que si, là-bas, je ne discernais que des séries de mouvements éparpillés où manquaient les enchaînements de cause à effet, à première vue les agissements des êtres et des choses, ici, sur nos proches planètes, au contraire semblaient obéir à une logique pérenne, une boule en heurtant une autre l’entraînant chaque fois vers un semblable déplacement. Pourtant, examinant mieux notre monde habituel, je saisis que la vie d’un individu était autant éparse que les éléments du cosmos : il n’y a, en vérité, aucun rapport de cause à effet entre une enfance au bord de la mer, des conflits avec le père, les jambes de tante Agata, des désirs sexuels, des activités financières, des rhumes chroniques, des mensonges conjugaux, la mauvaise humeur. Seul un artifice de pensée, cette manie de donner un sens à nos vies, et surtout au cosmos, organise un délire de cohésion. »
— Qui parle ? Cet aigle délirant, ou l’âne qui s’endort ? — Tais-toi, fit Mme Piano que l’on n’avait pas vue venir, déguisée en cosmonaute pour avoir l’air d’actualité : laisse les bêtes s’exprimer.
« Si l’univers n’est que chaos dans sa totalité, continuait l’âne traduit par l’aigle, c’est parce, en fait, tout s’accumule, rien ne se détruit, tout demeure dans un bric-à-brac, et les idées ne meurent pas plus que les êtres, formant ce brouillard contradictoire et délirant. Et, par exemple, l’humanité croit, en son aveuglement, être en progrès et avoir évacué la tyrannie, l’esclavage, les inégalités, les guerres, le racisme, mais ces réalités persistent dans les vibrations cosmiques, les données informatiques qui ne s’effacent jamais en sont la timide métaphore, encore incomprise. La semaines prochaine, je vous enseignerai les sphères, ces bulles qui ne communiquent jamais. »
— Ce génie dit ce que j’ai toujours pensé, rugit M. Piano — Tais-toi, miaula Mme Piano, car tu n’es même pas un âne. Le costume de Spider-Man se liquéfiait en bave d’araignée, les grenouilles rigolaient de plus en plus, je promis à l’âne de revenir… (A suivre)