Cette semaine, la dernière, nous sommes revenus voir Wolfgang von Picotin, la famille Piano et moi. Nous étions au milieu d’une foule de badauds, de professeurs, de prêtres et de journalistes avec caméras et micros, sur le pré, proches de l’âne toujours traduit par l’aigle :
« Vous avez le droit de me demander comment je suis revenu de mon voyage jusqu’au fin fond insondable du cosmos. Eh bien, frères humains qui bientôt ne vivrez plus, je n’en suis pas revenu entier. Fuyant le chaos, les discontinuités qui me déchiquetaient, et ces sphères impénétrables qui me renvoyaient de l’une à l’autre tel un pantin désarticulé, je tentais en m’agitant bêtement de regagner notre système solaire dont j’avais la nostalgie, si ce sentiment mesquin avait encore un sens en cette pagaille. »
Tout à coup, l’âne se mit à articuler une langue humaine, que nous entendions, laissant l’aigle muet et désappointé :
« Mais avant d’enfin reposer mes sabots sur le pré de ma jeunesse, aux environs du soleil je fus lacéré non seulement par les mémoires des histoires et des idées, dont je vous ai déjà parlé, mais surtout par des milliards de milliards de fantômes, âmes mortes errantes et éternelles des poissons, des reptiles et des humains mammifères qui s’accrochaient à moi de leurs dents, leurs griffes, leurs cris silencieux. Ainsi, celui que vous voyez n’est qu’une infime partie de ma personne déchiquetée, lacérée, mais immortelle. Et ainsi, étant démuni de ma multiplicité, vous parvenez à m’entendre, vous qui êtes irrémédiablement ratatinés, sourds, aveugles. »
« Toutefois, la grande découverte de ce voyage, ce fut non point l’existence de Dieu, mais celle des dieux, ces forces opposées qui créent les mondes et les anti-mondes, les trous noirs et les trous blancs. Ces dieux que, en votre surdité, votre aveuglement, et afin de remédier au non-sens, vous avez rapetissés dans l’intolérance du monothéisme et le mensonge de l’universalité. Ces dieux qui, aujourd’hui, avec les tremblements des terres, les feux des forêts, les inondations des habitations, les écroulements de vos oeuvres d’art, veulent vous chasser de cette planète que vous n’avez jamais su scientifiquement comprendre et que vous détruisez méthodiquement chaque jour, vous, les humains, trop humains ! »
— Scandaleux animal ! prophète maudit ! hurla la foule qui lançait vers Picotin des pierres, mais surgirent des éléphants, sur qui montèrent l’âne et l’aigle, on s’éparpilla, ce fut un grand bordel en Seine et Marne. (Fin)