Hier, sur les chaînes d’informations continuelles, j’avais demandé au Président de me recevoir. Ce matin, il m’a prié de venir au Château.

Je me suis présenté à l’heure dite, aussitôt les gardes m’ont invité à entrer dans le bureau présidentiel. Je n’ai pas attendu dans les antichambres, je me suis assis directement devant le Président, en tête à tête.

Il était charmant, attentif, il prenait des notes, je lui ai raconté ma vie. Il m’a écouté, pourtant ma vie n’a rien d’exceptionnelle, à part l’impression d’être délaissé, avec trop de charges, d’impôts, une famille à nourrir, la crainte du chômage, bref des banalités, j’avais honte de ne pas être extraordinaire, peur de l’ennuyer avec mes histoires quotidiennes.

Néanmoins, il parut fort intéressé. Et pour preuve, il me pria de revenir le lendemain, puis le surlendemain, il me recevait avec autant de délicatesses, m’offrait du chocolat chaud. Au bout de trois jours, il me proposa de participer aux travaux du gouvernement, et me suggéra d’y inviter mes amies, mes amis, afin d’approfondir et de concrétiser nos échanges.

Dans les semaines qui suivirent, nous aboutîmes à des projets, puis à des décisions politiques et économiques. Nous avions l’impression de rêver, mais non : aussi merveilleux que cela puisse paraître c’est la vérité.

Toutefois, je me suis relu, et j’ai pensé que personne ne croirait à la réalité de ce récit. Et que ce serait plus crédible si je transformais ces événements, les racontais à la manière de FK dans Le Château.

Et voici mon nouveau récit, faux mais davantage vraisemblable, et mieux admissible pour des lecteurs qui aiment le malheur, source des révoltes :

A ma demande, le Président m’a convoqué, mais je n’ai été reçu que par le sous-secrétaire du gardien de nuit, j’ai raconté ma vie, il s’est endormi, le lendemain j’ai rencontré le huitième adjoint du portier, à force de le supplier il m’a autorisé à regarder par la porte entrouverte, mais il m’a fallu six mois avant de pouvoir pénétrer en un labyrinthe de couloirs où des valets me repoussèrent vers les antichambres que, durant dix ans, j’ai arpenté sans être appelé, ne rentrant chez moi que pour changer de linge, j’ai maintenant cent cinq ans, mais je reste confiant : demain, j’ai rendez-vous avec le neveu du laveur de carreaux du bureau présidentiel.

Cette nouvelle version eut un grand succès, et ne permit nul progrès.

François COUPRY