Fatigué d’avoir voté aux européennes, je pris l’avion pour Sofia, j’étais assis auprès d’un lion, un vrai lion, je ne plaisante pas. Après avoir rencontré un âne astrophysicien, je côtoyais un lion courtois, légèrement philosophe, qui me livra son sentiment, assez négatif, sur la démocratie.
Après avoir égrené quelques banalités, le risque de réclamer une réponse à des humains sur des sujets qu’ils connaissent peu, ou mal, le danger de la démagogie, de la propagande, de la réclame, le péril de croire aux vertus d’une majorité versatile et aléatoire, notre beau lion fit quelques remarques qui me touchèrent, et je cessai de bailler.
« Comment, rugissait-il, se contenter de n’être qu’une seule voix parmi des millions d’autres, une goutte d’eau dans la mer ? Si la pensée humaine prône la puissance, l’originalité, la liberté de chaque individu, dans un vote démocratique on devient un être anonyme. En fait, on ne vous demande pas votre avis, on l’accumule, il ne sert qu’à alimenter des statistiques dans lesquelles on ne se reconnaît pas. On ne peut qu’avoir la sinistre impression d’être tout petit, bref le contraire d’un lion, et surtout le contraire de ce que l’humanité prône donc pour son accomplissement, sa plénitude. »
C’était exactement ce que j’avais éprouvé en écoutant les résultats de ces élections, pour lesquelles, pourtant, je militais.
« De plus, continuait mon compagnon de vol, il y a trois sujets qui ne peuvent pas se soumettre à un vote populaire : la création artistique qui ne devient que du commerce si l’on suit les désirs ou les conseils du public, la connaissance scientifique qui par définition doit contredire les idées communes traditionnelles, et aujourd’hui l’impératif écologique, car les intérêts de chaque humain s’opposent forcément aux lois naturelles qu’il combat depuis des siècles afin d’assurer sa survie et assumer sa prétention à une stupide primauté. Or, ces trois sujets sont essentiels pour l’avenir intellectuel, moral, vital, de l’humanité. »
Nous atterrîmes en Bulgarie. Devant le taxi, le lion me demanda : — Imaginons organiser un référendum pour savoir si je peux ou non te bouffer, quel serait le résultat ? Pour faire bêtement de l’humour, je répondis : — Cinquante pour cent oui, cinquante pour cent non. Avant de m’apercevoir que l’animal ironique m’avait à moitié dévoré.
Je me retrouvai dans le coma à l’hôpital, expérience intéressante, et d’actualité elle aussi, que je raconterai la semaine prochaine.