Je suis descendu de ma montagne, et après les sapins où chantaient les oiseaux j’ai rencontré les villes hautes et riches, peuplées de gens contents qui sentaient le bon goût de la réussite, de l’optimisme, de l’esprit d’entreprise, des fêtes sous les palmiers et le soleil. Je leur ai dit :

« Sœurs et frères humains, méfiez-vous ! Brandissant un rêve d’égalité, un peuple blessé, humilié, qui n’arrive plus à payer ses impôts, des classes délaissées, rurales, qui n’ont pas la même élégance que vous, ni la même culture ou la même cuisine, viendront, au nom de Jésus Christ et de Karl Marx, mettre le feu dans vos avenues, répétant pour la millième fois des révoltes ancestrales que vous croyiez caduques, attendez-vous à des renversements, des révolutions, ne croyez plus à un souverain progrès ! »

J’ai crié. Ils ne m’ont pas entendu. J’ai l’habitude. Ma voix ne porte pas. Je ne possède pas, en mes cordes vocales, la bonne fréquence pour parvenir aux oreilles des humains. Je me suis égosillé pour rien.

Alors, j’ai continué ma route au milieu des collines vers les terres paysannes où végètent les villages de la petite bourgeoisie, des artisans, des commerçants tristes, sans envergure, qui finissent leurs ragouts en sauçant avec du pain, et qui ignorent la physique quantique.

« Frères et sœurs humaines, leur dis-je, vous vous imaginez, au nom de Jésus Christ et de Karl Marx, conquérir enfin le Pouvoir dans le sens de l’Histoire, mais nos histoires ont changé de sens, méfiez-vous ! Vous les pauvres, vous ne servez maintenant à rien ! Les machines et les aristocratiques ordinateurs remplacent vos mains, des intelligences et des élites artificielles bientôt annuleront vos efforts, vos travaux, et sans cesse oubliés vous ne survivrez que sur des terres inondées, vos rêves d’égalité seront noyés par toute la puissance de la réalité de l’inégalité ! »

J’ai crié. Ils ne m’ont pas entendu. Ma voix ne portait toujours pas. Et personne ne s’offusquait que je puisse tenir des discours parallèles et contradictoires. Alors, je suis remonté sur ma montagne.

Là, en dernier espoir, j’ai parlé aux oiseaux. Mais la harpe de mes cordes vocales ne vibrait encore point sur la même fréquence que celle de leur possible compréhension. Il me sembla néanmoins qu’un chardonneret, sans m’entendre, a pu répondre à mon impuissance, en chantant ainsi :

— Pourquoi cet humain à tête de clown pousse-t-il tant de sons inaudibles ? De toute manière, c’est nous, les animaux, qui gagnerons en définitive le grand combat pour la domination de la terre.

François COUPRY