Léonard Biessman n’avait qu’un seul défaut, son honnêteté.
Cet universitaire, historien, grand reporter à ses heures, ce brave homme déçu par les piétinements de la police et de la justice décida d’enquêter sur le massacre d’Oklahoma-city qui, on le sait, nous émut il y a vingt ans.
Nimbé d’une pureté évangélique, il voulait découvrir toute la vérité. Il fut mené en bateau et rama vers les illusions ; je le sais d’autant plus que c’est moi le responsable de ce massacre – et qu’il ne m’a jamais rencontré !
Mieux que le plus beau des policiers, se donnant le temps du recul et des approfondissements, il interrogea de nouveau la totalité des témoins, Big Blossy, Camy Boys et tant d’autres. Au bout de dix années supplémentaires d’investigations, il parvint à pondre un ouvrage qu’il prétendit exhaustif et définitif, un pavé trop lourd pour tenir dans un sac à main.
L’extraordinaire, c’est l’extrême cohérence de ses conclusions, imposée par l’étonnante cohérence de ces nouveaux interrogatoires. Mais le plus extraordinaire, c’est qu’il ne remet jamais en question la pertinence des propos trop réfléchis que chaque protagoniste lui exposa sournoisement. Cet historien pointilleux aurait pu se demander : Pourquoi, soudain, cette histoire, dont nous connaissions les éléments épars, nous devient-elle si limpide ? De plus, il ne pense jamais que cette cohérence n’est que le fruit de son désir de comprendre, quand le réel n’est que désordre ; et je le sais d’autant plus que, moi – le véritable coupable -, je ne saurais expliquer ni comment ni pourquoi je commis ce geste avec une arme à feu !
Ce qui aurait pu nous mettre la puce à l’oreille sur les inepties de ce brave homme, c’est l’accumulation de clichés inutiles dans sa prose : La nuit s’alourdit d’un manteau noir, Elle arriva la gorge palpitante, Des yeux purs comme l’eau de roche, Un rire strident retentit, ou encore, par exemple, L’aube aux doigts d’or nous réveilla. Bref, les manies du langage guidaient notre Léonard bien plus que son apparente objectivité.
Mon ami le singe bonobo sur l’île X, je tiens à la préserver, me donna, usant de signes et de sons complexes, une autre vérité dont je traduis pauvrement les nuances : « La maladie mortelle de l’humanité, c’est ce langage étroit qu’elle s’est peu à peu infligée, et qui l’éloigne de plus en plus d’une réalité qu’elle désire saisir dans sa totalité insaisissable. »