Donc, comme je vous l’ai avoué, souffrant de ne jamais mourir depuis quatre mille ans j’ai parcouru la Terre en compagnie du chien d’Asie, Tengo-san. Et, je me dois de vous l’affirmer, rien de ce que j’ai vu, vécu, ne correspond à ce que racontent les historiens. Par exemple :

On prétend que Louis IX participa aux croisades : inexact. Il resta sous son chêne, un sosie le remplaça. Et il ne mourut pas de la peste à Tunis, j’y étais. On prétend que, vers 1325, la cité de Tenochtitlan fut érigée par les Aztèques : inexact. A l’époque, il n’y avait là que des marais, des serpents, des moustiques, j’y étais. On prétend que Thomas Jefferson présida la commission du Congrès qui rédigea la Déclaration d’indépendance : inexact. Il était bien trop occupé chez sa maîtresse, j’y étais.

Si les récits historiques mentent, la cause n’est point un complot universel, mais tout bêtement la difficulté de raconter sans simplifier, enjoliver, mythifier, mettre en ordre narratif et cohérent la multiplicité cahotique du réel. Alors, on utilise le charme du conteur et le désordre prend un sens, factice mais facile à enregistrer, à répercuter.

Ce phénomène se reproduit en notre actualité, dans ce que rapportent les journalistes d’information continue, qui suivent chaque annonce politique, chaque soupir des peuples et des dirigeants, et qui seraient au plus près du vrai, quand ils ne font que recréer en direct un ordre arbitraire au milieu d’un déluge anarchique d’actes qu’il faut à tout prix rendre intelligibles.

Avant qu’il ne soit chassé de la pensée officielle, jugé trop réactionnaire ou trop révolutionnaire, M. Piano avait été nommé, par quelle aberration ? responsable des services secrets internationaux. Et il confia à ses proches que ce dont il avait soudain connaissance, les calculs, les confidences, les errements des décideurs ou de leurs détracteurs, ne correspondait en rien avec ce qui était proclamé par les médias, même les plus critiques.

Un univers souterrain et muet agit dans l’ombre, invisible aux naïfs qui aspirent à la lumière. Mais, là encore, il n’est pas question d’un complot, plutôt de paramètres économiques et stratégiques enchevêtrés, superposés, trop compliqués pour l’entendement humain ordinaire. Et seul un chien comme Tengo-san pourrait véritablement en démêler les senteurs.

Mais, en transgressant le fameux paradoxe, si je dis que tout ce que l’on dit est faux n’en concluez pas que ce que je dis est faux !