J’ai raconté comment et pourquoi je fus coupé en deux, les jambes avalées et digérées dans le ventre d’un lion, et le reste de mon être dans le coma. Rares sont ceux qui ont le plaisir de parler de leur coma. Je dis : plaisir, car on subit alors deux phénomènes que les médecins taisent.

Le premier phénomène, c’est que l’on vit intensément. Durant mon coma, je visitai l’Amérique, devint producteur sur une grande chaîne de télévision, achetai une maison sur une île, me mariai avec une star, je jouissais, riais, m’épanouissais. Mais, souvent, comme tout le monde, je m’endormais, je rêvais que j’étais dans un lit, immobile, sourd, insensible, respirant à l’aide d’appareils oniriques que je subodorais sans les voir, attendant le moment où je me réveillerai pour présider un Conseil d’administration, m’agiter. Peu à peu je me demandais si ces rêves récurrents n’étaient point la réalité, et ma vie réelle rien qu’un songe.

Le second phénomène, je ne le remarquai que le jour où je sortis du coma, réclamant ma valise et un taxi. On m’avait greffé les jambes d’un as du marathon mort à la tâche, on greffe n’importe quoi de nos jours, ça amuse les docteurs, il faut bien qu’ils s’occupent. Ces jambes se mirent à tressauter dans mon lit, ce qui réveilla le reste de mon corps, de la tête au bassin. Devant un miroir, et voyant à côté les yeux ébahis des infirmiers, je découvris que mon visage était celui d’un jeune de dix-neuf ans.

Si le premier phénomène peut sembler banal et classique, mon rajeunissement, le rêve d’un Faust, paraissait inexplicable. Toutefois, un honnête docteur, il y en a, me fit la confidence que c’était tout autant banal et classique : entre vrai rêve et fausse réalité, ou vice-versa, le coma m’avait fait voyager et tourbillonner dans le temps, l’espace, et comme au retour d’une expédition vers les étoiles je me retrouvai en adolescent énervé, gambadant. On me fit jurer de me taire, il ne faut jurer de rien.

Mes vieux amis applaudirent ce miracle, m’envièrent. Hélas, ce bonheur d’être de nouveau jeune et de pouvoir recommencer ma vie devint vite un cauchemar, je regrettai la belle époque du coma. Je ne comprenais rien au langage de ma nouvelle génération, rien à leurs comportements décalés, et je vécus leurs angoisses dans un bouleversement que je vous raconterai bientôt, maintenant il faut absolument que j’aille courir ( à suivre).