Critique publiée dans le journal Profession Spectacle le 4 février 2020
Succès mérité du dernier Off d’Avignon, affichant salle comble tous les soirs sans interruption du premier au dernier jour alors qu’il s’agissait d’une création, Ni Brel ni Barbara associe avec talent le spectacle grand public, en s’appuyant sur deux monuments de la chanson française, et un questionnement de fond sur les liens entre imitation et création.
Cette critique a été écrite après la création, en 2019.
Le jeu de lumières et la mise en scène ont depuis évolué.
Comment renouveler un genre dominé, peut-être même écrasé par des géants tels que Barbara, Georges Brassens, Jacques Brel, Édith Piaf, Serge Reggiani et tant d’autres ? Nous parlons ici de cette chanson française qui allie un texte de qualité – par sa poésie, son propos, sa langue, son rythme – avec une musique harmonieuse et sensible. Les artisans actuels de la chanson à texte s’inscrivent plutôt dans la tradition des textes légers, souvent creux mais efficaces, et d’une musique sirupeuse, facile et entêtée. La qualité littéraire semble avoir passé de mode, ou plutôt s’être déplacée en d’autres genres musicaux tels que le rap.
Certains ne s’y font pas, s’inscrivant au contraire humblement, résolument dans ce courant en attente de ses voix contemporaines. C’est le cas de Laurent Brunetti et Mario Pacchioli, dont nous avions vu Pêcheurs de rêves il y a quelques années et qui ont créé, en juillet dernier à Avignon, un spectacle racontant leur réflexion au long cours.
Intéressant parcours que celui de ces deux garçons, comme un approfondissement successif de leurs racines profondes : Pêcheurs de rêve est un authentique récital auquel a été ajouté un saupoudrage de théâtralisation. Ni Brel ni Barbara n’est pas de la même trempe, même si l’unité des deux spectacles, comme deux versants d’une même montagne, d’un sommet commun qui est celui de la grande chanson française, frappe par son évidente résonance.
Leur nouvelle production relève davantage du théâtre musical, articulant harmonieusement le chant et le jeu d’acteurs, sans que ce dernier ne soit jamais déséquilibré. Nous retrouvons la qualité de chant ; nous découvrons un talent de comédien.
Mario Pacchioli se rêve en sosie de Barbara, rivé à un passé pour ne pas avoir à affronter le présent, la possibilité d’un échec, le risque d’être soi. Laurent Brunetti veut rendre hommage à son aîné, Jacques Brel, avec respect mais sans renier l’héritier qu’il est, débiteur et transmetteur, reconnaissant de ce qui lui a été donné et désireux de renouveler un genre riche de ses interprètes.
Tous deux veulent créer un spectacle autour de ces deux figures, de leur amitié, à partir de leurs chansons et de leurs paroles. C’est le récit de leurs répétitions, entre le piano et la machine à café, que nous suivons, entrecoupées de chants et de nombreuses capsules d’humour bien corsé. Nous rions souvent, écoutons beaucoup, chantons avec eux – du bout des lèvres afin de ne pas les déranger – parfois.
Imiter ou créer ? La question ne résonne pas uniquement dans le fait de reprendre leur accent propre ou leurs accessoires, mais jusque dans leur manière de revisiter la carrière des deux artistes, d’entremêler leurs expériences, voire leurs chansons – scène parmi les plus belles du spectacle.
Les amoureux de Brel et de Barbara ainsi que les enthousiastes de la chanson française trouveront dans ce spectacle le plus bel hommage possible, celui qui ne consiste pas à copier simplement le passé – comme nous le voyons trop souvent. Ni Brel ni Barbara est également une bonne introduction au précédent spectacle de Laurent Brunetti et Mario Pacchioli, qui propose un florilège de chansons originales, écrites par le premier, composées par le second.
Retrouver l’article original sur le site de Profession Spectacle.